« Maison de Poésie 2 » : un droit de jouissance spéciale ne connaît pas de durée maximale?


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Crédit photo : S. Droller-Bolela

L’arrêt dont il est question aujourd’hui, marque une révolution juridique en venant trancher la question de savoir si le droit civil peut admettre l’existence d’un droit de jouissance spéciale en immobilier non limité dans le temps après toute une série d’arrêt rendue depuis 2012 en la matière.

Le point fondamental de ces arrêts, est celui de la qualification d’un droit de jouissance réel. Cette notion faisant communément appel à la notion d’usage et donc aux caractéristiques de l’usufruit ou encore au droit d’usage et d’habitation, il était évident que la jurisprudence prendrait sont temps pour se prononcer.

Tout a commencé en 2012 dans une affaire où un propriétaire, la fondation « la Maison de Poésie » avait vendu à une société dite SACD un bien immobilier sans comprendre les locaux que celle-ci occupait au jour de la vente. L’acte prévoyait également que la SACD pouvait si elle le souhaitait demander à occuper lesdits locaux à charge pour elle d’édifier dans la propriété en question une construction laissée gratuitement à disposition de la fondation pour une durée calée sur celle de la vie de ladite fondation.

La SACD souhaitant récupérer l’intégralité du bâtiment, arguait que la fondation était sans droit ni titre depuis la vente. Argument rejeté par les juges de cassation qui relevèrent qu’il s’agissait ni d’un usufruit, ni d’un droit d’usage et d’habitation mais bien d’un droit « sui generis » conféré par la convention passée par les parties pour rejeter la théorie de la cour d’appel qui limitait de ce fait la durée de ce droit à 30 ans.

C’est ainsi que sur le fondement combiné des articles 544 et 1134 du Code civil, que la Cour de cassation a retenu que le propriétaire d’un bien pouvait dès lors qu’il ne contrevenait pas à l’ordre public créer au profit d’un tiers un droit réel spécial sur son bien.

Plus tard en janvier 2015, une jurisprudence qui n’est pas passée inaperçue des praticiens est venue définir les contours temporels de ce droit en retenant « qu’en statuant ainsi alors que, lorsque le propriétaire consent un droit réel, conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien, ce droit, s’il n’est pas limité dans le temps par la volonté des parties, ne peut être perpétuel et s’éteint dans les conditions prévues par les articles 619 et 625 du code civil, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; ».

En conséquence, nous avons tous crus que la messe était dite en janvier 2015 enfermant l’existence de ce droit de jouissance spécial dans une limite de 30 ans!

Mais non! Revirement en 2016 avec l’arrêt dit « Maison de Poésie 2«  (Cass. 3ème civ. 8 septembre 2016, n° 14-26.953) dans lequel les juges ont retenu « que ce droit, qui n’était pas régi par les dispositions des articles 619 et 625 du Code civil , n’était pas expiré et qu’aucune disposition légale ne prévoyait qu’il soit limité à une durée de trente ans. ».

L’erreur est donc compréhensible que ce soit des juges ou de la doctrine. Les hésitations sur sa qualification étaient évidentes, sommes-nous prêts à laisser les parties créer des droits spéciaux ? Eh bien il semble que oui, en ce sens voir les avis partagés suite aux vœux exprimés par la profession notariale en juin dernier à Nantes.

Enfin, pour conclure, ces arrêts prouvent que la force obligatoire des contrats et l’intention des parties priment dans de nombreuses affaires et guident l’appréciation souveraine des juges.